Autour de Gergovie
Découvertes anciennes et récentes
Matthieu POUX, Michel FEUGÈRE, Matthieu DEMIERRE
Le site historique de Gergovie est surtout connu pour les vestiges de retranchements césariens découverts
au XIXe siècle, leur apport à la localisation de la bataille et la polémique qu’ils ont longtemps alimentée. On
sait moins que ce site a livré,au fil des fouilles et prospections,un nombre non négligeable de petits mobiliers
attribuables au domaine militaire. Disséminées dans les publications anciennes et récentes, dans plusieurs
musées nationaux et collections privées, ces découvertes n’ont pas retenu l’attention qu’elles méritent. Cet
article vise à opérer un premier recollement, sans prétendre à l’exhaustivité. Une étude plus systématique du
mobilier des fouilles anciennes conservé au musée Bargoin à Clermont-Ferrand, au musée d’Archéologie
nationale de Saint-Germain-en-Laye ou au musée Déchelette de Roanne, permettra sans doute d’enrichir ce
premier corpus. À titre de comparaison, il est complété par des mobiliers de nature et de datation similaires
retrouvés sur les oppida et sites de plaine environnants fouillés au cours des 30 dernières années (ill. 1).
Une localisation discutée
Le plateau de Gergovie (anciennement
dénommé plateau de Merdogne) est traditionnellement identifié à celui de l'oppidum de Gergovia,
dont il a conservé le nom. Il abrite un vaste oppidum de 70 hectares, densément peuplé au Ier
siècle avant J.-C. (Provost, Mennessier-Jouannet
1994, avec bibliographie). Cette localisation ne
suscitait guère de controverses jusqu’à la proposition, faite dans les années 1930 par M. Busset et
développée par P. Eychard, d’une localisation du
site sur le plateau des Côtes de Clermont, au nord
de Clermont-Ferrand.
Le meilleur argument en faveur de la localisation de Gergovie à son emplacement actuel est
fourni par la toponymie : le nom de Gergoie
désigne au XVIe siècle un lieu habité, localisé à la
base de la pente sud-est. Ce toponyme est attesté
depuis le Xe siècle sur les chartes médiévales,
sous les formes Girgia ou Girgoia qui dérivent,
selon toute vraisemblance, de la forme latine
Gergovia. La forme Gergobie est attestée pour
désigner le même lieu à partir du XIIIe siècle dans
les archives de l'abbaye prémontrée de SaintAndré de Clermont, qui y installe à cette époque
une grange. Le nom actuel du plateau est issu
d'une tradition moderne, inaugurée au XVIe siècle
POUX (M.) dir. — Militaria tardo-républicains en contexte gaulois. Actes de la table ronde du 17 octobre 2002 (Glux-en-Glenne – F. 58).
Glux-en-Glenne: BIBRACTE, Centre archéologique européen, 2007, p. xxxxxx, (Bibracte; 14).
MATTHIEU POUX, MICHEL FEUGÈRE, MATTHIEU DEMIERRE
1. Carte de localisation des sites de Basse-Auvergne mentionnés
dans le texte (d’après Collis et al. 1994, ARAFA).
par l’érudit florentin Gabriele Simeoni, qui fut le
premier à proposer l'identification du plateau au
site de la bataille césarienne. Cette nouvelle
dénomination s'est étendue par la suite au village de Merdogne situé sur le flanc sud du
plateau, dont le toponyme médiéval est établi
par de nombreuses pièces d'archives. Débaptisé
à l’occasion d’une visite officielle de Napoléon III
sur le site,le village de Merdogne troque son nom
en 1865 pour celui de Gergovie, qu’il a conservé
aujourd’hui (Texier 1993, p. 147-150, 109-154, 788856, avec bibliographie antérieure).
Afin d’illustrer son Histoire de Jules César,
Napoléon III met en œuvre des travaux de grande
envergure pour tenter de localiser le lieu de la
bataille de Gergovie. Une première campagne
menée en 1861, se concentre sur le plateau de
2
Gergovie, dirigée sur le terrain par son aide de
camp, Eugène Stoffel. La seconde campagne,
menée l’année suivante, est consacrée à la
recherche des camps romains de 52 avant J.-C.Ces
tranchées exploratoires, dont certaines pouvaient
atteindre jusqu’à 250 m de long, ont permis de
retrouver et de cartographier l'ensemble des fortifications mentionnées par César : le « grand
camp », vaste enclos quadrangulaire implanté sur
le plateau de la Serre d'Orcet ; le « petit camp », de
taille plus modeste, sur la colline de La Roche
Blanche, à environ trois kilomètres à l'ouest du
premier ; le « double fossé » (fossa duplex) décrit
par César, reliant ces deux points hauts du relief,
recoupé de façon plus ponctuelle sur la ligne de
crête.
Au cours des années 1995-1996, une nouvelle
campagne de vérification est menée à l’initiative
du Service régional de l'Archéologie. Dirigée par
Vincent Guichard, sous l’égide de l'Association
pour la Recherche sur l'âge du Fer en Auvergne
(ARAFA), elle vise à contrôler la validité des
observations de terrain faites en 1862 et en 1930.
Elle a permis de retrouver la plupart des
ouvrages de fortifications aux emplacements
indiqués et de valider les propositions faites sous
le Second Empire (Deberge, Guichard 2000, avec
bibliographie antérieure).
La position topographique et la régularité
des vestiges confirment leur appartenance à un
ouvrage cohérent, dont la vocation défensive ne
fait aucun doute : deux « camps » situés sur des
points hauts du relief, reliés par une « fortification intermédiaire » qui suit une ligne de crête
quasi continue (ill. 2). Les fossés à profil en « V »
sont caractéristiques (mais non exclusifs) des
ouvrages militaires romains, à l’époque de la
conquête et postérieurement. Malgré l'absence
de certains éléments typiques de l'architecture
des camps romains (titulum, clavicula, fossa
duplex), la fonction militaire de cet ouvrage
ainsi que son attribution à l'armée romaine sont
clairement posées par les dernières publications. Elles soulignent, en particulier, les
nombreux points communs qui unissent le plan
et le profil des fossés mis au jour à Gergovie et
ceux d'autres ouvrages défensifs tardo-républicains, comme les camps de la circonvallation
d’Alésia ou le camp de Mauchamp à Berry-auBac dans l’Aisne (Reddé 1996, p. 36 ; Reddé,
Schnurbein 2001).
MILITARIA TARDO-RÉBUBLICAINS EN CONTEXTE GAULOIS
AUTOUR DE GERGOVIE : DÉCOUVERTES ANCIENNES ET RÉCENTES
2. Position des fortifications césariennes devant Gergovie, restituée par Napoléon III et le commandant Stoffel à l'issue des fouilles de
1861 et 1862 (d'après Napoléon III, Histoire de Jules César, pl. 22 et carte IGN 2531-2531 est).
Mobiliers militaires
Ces différentes campagnes de fouilles ont permis de collecter de nombreux éléments mobiliers
qui assurent l’interprétation fonctionnelle des fossés et leur datation à l’époque de la conquête
césarienne : céramiques indigènes, importées et
amphores vinaires datables de la phase La Tène
D2 (milieu du Ier s. av. J.-C.), associées à des pièces
d’armement (Deberge, Guichard 2000).
Les fouilles menées depuis les années 1970
par l’Association pour la Recherche sur l’âge du
Fer en Auvergne (ARAFA) dans le bassin clermontois ont livré d’autres objets rattachés à la même
problématique,également intégrés au corpus.Une
majorité d’entre eux provient de contextes directement liés au site du siège de 52 avant J.-C.
(circonvallation et plateau de Gergovie). D’autres,
moins nombreux, figurent parmi le mobilier de
deux autres oppida contemporains (Corent,
3
MATTHIEU POUX, MICHEL FEUGÈRE, MATTHIEU DEMIERRE
Gondole).Un troisième groupe d’objets,enfin,provient d’ensembles funéraires contemporains
(nécropole des Martres-de-Veyre) ou postérieurs
(Clermont-Ferrand) à la conquête romaine. La
tombe de Malintrat, située au nord de ClermontFerrand,n’est pas intégrée au corpus et sera traitée
dans le cadre de l’analyse des sépultures à armes
de Gaule du Centre (Riquier, dans ce volume).
Circonvallation
Un premier lot d’objets provient des fouilles
effectuées en 1995 et 1996 par Y. Deberge et
V. Guichard à l’est du massif de Gergovie (emprise
des communes de La Roche Blanche et de La
Serre d’Orcet).
À la catégorie des militaria se rattachent plusieurs objets découverts en différents points de la
ligne de défenses (La Serre d’Orcet, La Pialle, La
Roche Blanche). Publié partiellement, ce mobilier
a contribué à l’identification des défenses césariennes. Bien que restreint, il comprend à la fois
des armes offensives (catapulte, baliste, fronde) et
défensive (bouclier), ainsi que quelques clous de
chaussure :
Un premier lot d’objets provient des fouilles
effectuées en 1995 et 1996 par V. Guichard à l’est
du massif de Gergovie, à l’emplacement du grand
camp, du petit camp et de la fortification intermédiaire (ill. 3).
3. Gergovie : militaria romains provenant des fossés de circonvallation fouillés
en 1994-1995 (d’après Guichard, Deberge 2000).
4
À la catégorie des militaria se rattachent plusieurs objets découverts en différents points de la
ligne de défenses (La Serre d’Orcet, La Pialle, La
Roche Blanche). Publié partiellement, ce mobilier
a contribué à l’identification des défenses césariennes. Bien que restreint, il comprend à la fois
des armes offensives (catapulte, baliste, fronde) et
défensive (bouclier), ainsi que quelques clous de
chaussure :
- Deux armatures de trait de catapulte en fer
(n° 1-2) : le premier (sondage 31, US 1161)
long de 10 cm (76 g avant nettoyage), à pointe
pyramidale courte (3,3 cm, soit 33 % de la longueur totale) ; le second (sondage 31, US
1161), long de 10,2 cm (94 g avant nettoyage),
à pointe pyramidale légèrement plus allongée
que la précédente (4,2 cm, soit 41 % de la longueur totale).
-- Un anneau ovale en bronze (n° 3), sondage
29, US 1160, long de 3,9 cm, en tôle très fine
pouvant correspondre au doublage métallique d’un objet en matériau organique
(garniture de fourreau ?).
- Un clou de chaussure en fer (n° 4), sondage 4,
US 3006, longueur actuelle 1,3 cm, diamètre
1,6 cm, à tête hémisphérique arrondie et tige
recourbée. La face inférieure de la tête présente les restes d’un décor cruciforme
bouleté, caractéristique des clous de caligae
tardo-républicains.
- Un fragment d’orle de bouclier (n° 5), sondage 13, US 1038, longueur actuelle : 30,5 cm,
formé d’une gouttière en tôle de fer légèrement cintrée, correspondant au renfort
métallique cloué sur la tranche d’un bouclier
en matériau organique ; à mi-longueur subsiste
la trace d’un œillet permettant le rivetage sur
le bouclier.
Plusieurs projectiles de baliste (?) en pierre :
un boulet complet (sondage 31, US 1170,
4,9 kg) en basalte vacuolaire (matériau identique à celui des meules), de forme
subsphérique irrégulièrement bouchardée ;
deux autres fragments en granite (sondage
26, US 1162, 2,1 kg ; sondage 26, US 1162,
2,4 kg), de forme irrégulière, presque cubique
(non illustré).
- Un projectile de fronde (?) en pierre (sondage 31, US 1161, 87 g), petit galet de basalte
de forme ovoïde, qui a théoriquement pu
être utilisé comme balle de fronde (non
illustré).
MILITARIA TARDO-RÉBUBLICAINS EN CONTEXTE GAULOIS
AUTOUR DE GERGOVIE : DÉCOUVERTES ANCIENNES ET RÉCENTES
Ce mobilier associe des éléments très caractéristiques, comme les fers de baliste et l’orle de
bouclier, à d’autres moins typiques.
Les seuls objets indubitablement romains sont
les deux armatures de catapulte en fer : à la fin de
la République comme sous l’Empire, l’armée
romaine est la seule (en dehors du monde hellénistique) à maîtriser la technologie des tormenta.
Dans un contexte d’affrontement celto-romain, de
tels objets n’ont pu appartenir qu’au camp romain.
La typologie de ces objets est intéressante : avec
leur pointe relativement courte, ces deux pointes
sont encore très proches des modèles en usage au
IIe s. av. J.-C., documentés à Numance ou Ephyra
(Feugère 1993, p. 80, 105). Ils s’intègrent parfaitement dans la morphologie générale des armatures
de traits de catapulte de la fin de la République mis
au jour en Gaule,sur les sites de bataille d’Alésia ou
du Puy-d’Issolud (Sievers 2001, pl. 79, n° 576-574 ;
Feugère 1994a, p. 10, fig. 7 ; Girault 2007), ainsi qu’à
Vieille-Toulouse, Marseille, Entremont ou le BaouRoux. La confrontation des modules, effectuée en
comparaison avec les traits de catapulte recueillis
dans des contextes plus tardifs, valide définitivement leur attribution à la période tardorépublicaine (cf. introduction supra, fig. $$).
Bien qu’aplati par l’usure,le clou de chaussure
à tête massive s’intègre dans la série des clous de
caligae tardo-républicains recueillis à Alésia
(Brouquier-Reddé 1997, p. 283 ; Poux 1999, p. 8891). L’orle de bouclier, également documenté sur
le plateau de Gergovie (cf. infra) ou le bandeau en
bronze, en revanche, sont trop peu caractéristiques pour être attribués à l’un ou l’autre camp.
Ce type d’orle est très courant dans l’armement
celtique du deuxième âge du Fer (Rapin,Brunaux
1988). L’existence d’une variante de scutum
romain garnie d’orles métalliques est bien attestée
par Polybe (Hist.VI, 22-23), mais les parallèles sont
encore rares. Bien que minoritaires par rapport
aux orles rectilignes, des orles cintrés figurent sur
certains camps du Haut-Empire, sans qu’il soit
possible de déterminer équipement légionnaire
ou auxiliaire (Iza : Rajtar 1994, Abb. 6, n° 7 ;
Vindonissa : Unz,Deschler-Erb 1997,Taf.25,n° 561).
Le même problème se pose pour les boulets :
plusieurs auteurs ont souligné le danger qu’il y
aurait à interpréter toutes les sphères de pierre
antiques comme des projectiles de machine de
guerre.Leur association avec les traits de catapulte
permet,en l’occurrence,de les considérer comme
tels ; avec d’autant plus de vraisemblance que
l’utilisation du basalte pour fabriquer des projec-
tiles de baliste est attestée en Gaule à la fin de la
République, notamment à Entremont, Saint-Blaise
(Feugère 1994a, p. 16, 17, 19) ainsi qu’à La Cloche
(Chabot, Feugère 1993, p. 343).
Datation, interprétation
L’attribution de ces armes à l’époque républicaine est assurée à la fois par leur typologie et le
mobilier associé : amphores Dressel 1B, céramiques importées ou locales caractéristiques de
la phase de La Tène D2b, centrée sur le milieu du
Ier s. av. J.-C. (Deberge, Guichard 2000). Leur fonction intrinsèque s’accorde idéalement avec leur
présence dans des ouvrages à caractère militaire.
Le trait marquant de cette petite série est la relative abondance des projectiles de machines de
guerre, qui devrait correspondre à une position
attaquée par les Romains plutôt que l’inverse.Leur
faible nombre par rapport aux séries de traits qui
criblent les champs de bataille d’Uxellodunum et
d’Alésia évoque des vestiges liés à la préparation
d’artillerie, caractéristique de la phase préliminaire d’un assaut romain.
Plateau de Gergovie
Une seconde série d’objets provient du sommet du massif surplombant les fossés de
circonvallation, vaste plateau basaltique de 90 ha
qui domine la plaine des Limagnes à plus de 400 m
d’altitude (ill. 4). L’intérêt porté au gisement est lié
dès l’origine à la localisation du champ de bataille
éponyme.Dès le XVIe siècle,le site est identifié à l’oppidum assiégé par les armées de César. L’existence
d’une occupation étendue à la quasi-totalité du
plateau a été mise en évidence par plusieurs campagnes de fouille menées dans les années 1930
et 1940 : des habitats en constructions maçonnées,
des vestiges d’artisanat (métallurgie, tabletterie) et
un sanctuaire doté de deux temples géminés, protégés par un rempart en pierres sèches précédé
d’une terrasse artificielle taillée dans le basalte.
Ces contextes ont également livré des petits
objets caractéristiques de la sphère militaire, indigène et romaine. Contrairement à ceux découverts
dans les fossés de la circonvallation, il s’agit d’objets disséminés dans différents secteurs de fouille,
dont l’origine précise est mal établie. Beaucoup
sont inédits ou ont été publiés sans identification.
Certains figurent sur les planches de mobilier
incluses aux rapports de fouilles publiés
entre 1930 et 1950 en différents points du plateau
5
MATTHIEU POUX, MICHEL FEUGÈRE, MATTHIEU DEMIERRE
4. Plateau de Gergovie : localisation du tracé du rempart (plan S. Fichtl).
(ill. 5 : extraits de Gallia 1943, 1947, 1948, 1950) ;
d’autres, parmi les collections anciennes du
musée d’Archéologie nationale (Duval 1970) ou
du musée Déchelette de Roanne (ill. 7, identification et dessins V. Guichard) ; d’autres, enfin, sont
issus de fouilles et prospections récentes menées
sur le plateau et à ses abords (ill. 6) : chemin de la
Croix,fouilles effectuées entre 2001 et 2004 sur une
portion du rempart oriental (sous la direction de
Th. Pertlwieser et I. Ott, identifications L. Orengo :
Th. Pertlwieser, BSR 2002, 125 fig. 1).
Ce lot d’objets regroupés sur les illustrations
5 à 7 comprend principalement :
6
-
Plusieurs pointes de flèche à une ou deux barbelure, caractéristiques des horizons de la
guerre des Gaules (n° 1-6). Entrées au musée
de Saint-Germain-en-Laye au XIXe siècle, les
informations font défaut quant à leur localisation précise sur le site. Si certaines d’entre
elles ont sans doute été extraites de la circonvallation, d’autres ont pu être ramassées sur le
plateau, comme le suggère la découverte
récente d’une nouvelle pointe à une barbelure (n° 15), lors de prospections menées sur
le flanc oriental du massif (identification et
dessin D. Leguet).
MILITARIA TARDO-RÉBUBLICAINS EN CONTEXTE GAULOIS
AUTOUR DE GERGOVIE : DÉCOUVERTES ANCIENNES ET RÉCENTES
0
5. Gergovie : militaria romains provenant de prospections et
fouilles anciennes (Duval 1970 et sources diverses).
1
2
4 cm
6. Gergovie : militaria romains issus des fouilles récentes : fosses
du chemin de La Croix (en haut) et rempart (en bas) (dessins
D. Leguet, D. Tourlonias, L. Orengo).
15
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18
19
7. Gergovie: militaria romains inédits, provenant des prospections et fouilles anciennes (dessins V. Guichard).
7
MATTHIEU POUX, MICHEL FEUGÈRE, MATTHIEU DEMIERRE
-
-
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-
8
Une armature de trait de catapulte à douille et
pointe pyramidale allongée, de section carrée
(n° 14), longueur : 9,7 cm, identique à celles
découvertes dans les fossés de circonvallation
(musée Déchelette, Coll. Cohendy, Gergovie
1893, n° 1674).
Un gland de fronde en plomb (n° 16), longueur : 2,4 cm, de forme ovale simple et
anépigraphe (musée Déchelette, Coll.
Cohendy, 1877, n°1722a).
Un objet cruciforme constitué de quatre
pointes en fer à section carrée (n° 17), longueur max. : 5 cm, peut-être interprété comme
un tribulus écrasé. Un second chausse-trape
du même type est répertorié dans la même
collection (musée Déchelette, Coll. Cohendy,
1893, n° 1675).
Un umbo de bouclier romain en fer (scutum),
retrouvé dans une fouille menée en 1930 dans
un grand bâtiment connu sous le nom de
« Villa Aucler » (n° 19), collection Chirent. Le
fragment conservé (longueur actuelle :
19,2 cm) correspond à l’extrémité distale
d’une coque ovalaire, terminée par une patte
de renfort latérale percée d’un trou de fixation.
Un fragment d’orle de bouclier en tôle de fer
(n° 29, longueur conservée : 9 cm) de forme
légèrement incurvée, identique à celui
retrouvé dans les fossés de circonvallation.
L’objet provient d’un secteur de fouille du
rempart oriental qui a également livré un fourreau d’épée gaulois “à échelles” (non illustré,
renseignement L. Orengo), caractéristique de
La Tène D.
Une douille en fer de forme peu caractéristique, pouvant correspondre à un talon de
lance ou à une pointe d’épieu (n° 7).
Une boucle de ceinturon (cingulum) ou de
harnachement à profil simple en “D”(n° 13,largeur max. : 4,5 cm), à laquelle s’ajoute un
ardillon en bronze au profil caractéristique,
découvert chemin de La Croix (n° 20).
Deux boucles de plus petite taille (n° 9 et 23),
dont une liée à un fragment de plaque en fer,
issues du dispositif de fixation d’une
cuirasse (?).
Une dizaine de clous de sandales légionnaires
(caligae), (n° 18, 30) de même type que celui
issu des fossés de circonvallation, à tête massive et conique, décorée à la base d’une croix
et/ou de plusieurs globules, découverts en différents points du plateau et sur ses versants.
-
-
Diverses formes de clous, rivets et boutons
d’applique en bronze, étrangers au répertoire
décoratif et vestimentaire indigène, traditionnellement rattachés à l’équipement militaire
(n° 11, 25, 26).
Un pic en fer de type dolabra (n° 8),longueur :
11,5 cm, outil caractéristique du paquetage
légionnaire également retrouvé en contexte
civil, dans les niveaux d’installation des colonies romaines.
Les projectiles de l’armée romaine constituent
la majorité du lot. L’armature de trait de catapulte
s’ajoute à celles découvertes en contrebas du plateau. Bien que dépourvu de contexte, l’objet est
parfaitement datable : sa tête pyramidale allongée
s’intègre à la fourchette des modules de traits
tardo-républicains en usage durant la guerre des
Gaules (cf. introduction supra, fig. $$). Tout aussi
caractéristique est le gland de fronde en plomb :
contrairement à la pierre de fronde en basalte
découverte dans les fossés de circonvallation, il
s’agit d’une arme typiquement romaine, étrangère
au répertoire local. Des glands de module et de
morphologie identiques découverts en grand
nombre à Alésia (Sievers 2001, p. 173 pl. 84).
Les pointes de flèche ont été identifiées et étudiées en détail par A. Duval (1970; Sievers 2001,
p. 169-172): six d’entre elles possèdent une barbelure (type B), une seulement un empennage
symétrique (type D). Malgré les problèmes d’attribution ethnique que pose leur présence sur
certains gisements plus anciens (cf. introduction
supra, p. $$), leur fréquence sur les sites impliqués
dans les événements de la guerre des Gaules en fait
un marqueur très fiable de cette période. Si elles
sont encore présentes sur certains camps du limes
augustéen, leur nombre est très minoritaire par rapport aux nouveaux types apparus à cette période
(six exemples à Vindonissa, soit à peine 5 % de l’effectif: Unz, Deschler-Erb 1997). Les sept exemplaires
recensés à Gergovie s’inscrivent tous dans la tradition typologique tardo-républicaine. Toutes
proportions gardées,ils soutiennent la comparaison
avec le corpus d’Alésia (Sievers 2001,pl.80-83),enrichi des nombreuses découvertes effectuées depuis
sur le Puy-d’Issolud (cf. introduction supra, fig. $$).
La récurrence des projectiles en fer en en plomb sur
le plateau et ses versants s’accorde parfaitement,au
demeurant, avec la localisation de positions gauloises bombardées par l’artillerie romaine.
L’identification du n° 17 à un tribulus s’appuie
sur sa forme très caractéristique : ce type de
MILITARIA TARDO-RÉBUBLICAINS EN CONTEXTE GAULOIS
AUTOUR DE GERGOVIE : DÉCOUVERTES ANCIENNES ET RÉCENTES
“chausse-trape” est bien attesté à Alésia (Sievers
2001, p. 174, pl. 85, n° 759-770), ainsi qu’à Lyon
(Desbat, Maza, dans ce volume). À la différence
des projectiles d’artillerie, il s’agit d’une arme passive, intégrée au dispositif défensif qui protège les
positions romaines. Au même titre que le tribulus
découvert sur la colline de Lyon-Fourvière, leur
présence sur le plateau semble plutôt liée à une
occupation militaire permanente, postérieure à la
bataille.
Recueilli parmi le mobilier d’une habitation
maçonnée d’époque augustéenne, l’umbo de scutum plaide également pour une installation
durable de troupes légionnaires sur le plateau. Sa
typologie inédite explique qu’il n’ait pas été identifié jusqu’à ce jour. Ce type d’umbo fusiforme
(spindelförmige Schildbuckel) reproduit en métal
la forme de la bosse allongée du bouclier à spina,
la forme traditionnelle de l’âge du Fer dans
laquelle un axe en relief, émergeant des deux
extrémités de l’umbo, marque la verticale du bouclier. Une différence importante réside dans la
présence de deux ailettes projetées latéralement,
qui ne se retrouve pas sur les exemplaires gaulois
antérieurs à la conquête. Cet umbo trouve son
meilleur parallèle dans une trouvaille de
Mayence, malheureusement hors contexte
(Bockius 1989, 271, fig. 2, 2). En Gaule, on peut le
rapprocher d’un umbo issu d’une tombe de la fin
de l’âge du Fer fouillée à Sainte-Anastasie (Gard)
au XIXe siècle, dont la reconstitution probablement
erronée cache sans doute un exemplaire assez
proche de celui de Gergovie (Saint-Venant 1897,
p. 490, fig. 44 ; Bockius 1989, p. 272, fig. 3, 3). La
forme générale permet de constituer tout un
groupe d’umbos, dont R. Bockius a récemment
proposé l’attribution aux troupes romaines de
l’époque augustéenne. Le modèle remonte, dans
les sociétés protohistoriques occidentales à une
très haute antiquité (Stary 1981 ; Feugère 1993,
p. 94) : la forme ancienne, réalisée à La Tène
ancienne et moyenne, s’en distingue par sa
conception scindée en deux coques réunies par
une gouttière médiane. Dans le monde celtique,
ce montage complexe cède la place à la forme
plus simple,dite “en oméga”,où une simple bande
métallique d’un seul tenant recouvre la partie la
plus saillante de l’umbo en bois. La réapparition
de l’umbo métallique en forme d’amande et
pattes de fixation latérales est caractéristique des
contextes romains de la fin de la République ou
du début de l’Empire. Compte tenu de l’écart
chronologique qui sépare ces deux séries, il s’agit
sans doute moins d’un emprunt direct que de perduration méditerranéenne d’une forme délaissée
depuis longtemps par les Celtes du Nord.
Bien qu’encore rares, les parallèles sont tous
liés à des contextes militaires romains de la fin de
la République ou du début de l’Empire : outre le
camp de Renieblas à Numance, qui permet de
proposer une date assez haute (troisième quart
du IIe s. av. J.-C.), quatre objets provenant des
camps augustéens du limes rhénan (Oberaden,
Urmitz, Mainz et Mainz-Weisenau) sont à rapprocher de rares découvertes isolées d’Europe
centrale, au Nord (Bránov ; Kolaje) et au Sud des
Alpes (Magdalensberg). À cette série, on peut
ajouter l’exemplaire récemment identifié parmi le
mobilier du Verbe-Incarné à Lyon, dans les premiers niveaux d’installation de la colonie datés
des années 50-40 av. J.-C. (Desbat, Maza, dans ce
volume).
Malgré son état lacunaire, l’exemplaire de
Gergovie s’intègre parfaitement à cette série. Ses
deux pattes de fixation latérales ne se retrouvent
que sur les boucliers de Lyon, de Mayence et du
Magdalensberg (Dolenz 1998, p. 323, Taf. 15). Un
détail figuré sur les boucliers qui équipent les
légionnaires représentés sur l’autel de Domitius
Ahenobarbus (cf. introduction supra, fig. $$),
prouve que ce mode de fixation était déjà en
usage au IIe s. av. J.-C. Faute de contexte archéologique plus précis,l’umbo de la villa Aucler ne peut
être daté avec précision. Associé à des vestiges et
mobiliers augustéens, il peut être interprété
comme un reliquat du siège de 52 av. J.-C., ou
comme la marque d’une occupation militaire du
plateau jusqu’à l’époque d’Auguste. Moins caractéristiques, les orles cintrés découverts sur le
rempart et dans les fossés de circonvallation (ill.3,
n° 5 ; ill. 6, n° 29) ne peuvent être attribués avec
certitude aux forces gauloises ou romaines. D’un
point de vue strictement théorique, orles et umbo
ont pu constituer la garniture métallique d’un
même type de scutum ovale utilisé par les légions
de César et d’Auguste
L’attribution des accessoires vestimentaires au
domaine militaire doit se limiter à quelques éléments bien caractéristiques. C’est notamment le
cas des clous de chaussure, dont la vocation militaire a déjà été soulignée à propos de l’unique
exemplaire découvert dans les fossés de circonvallation : leur module important, leur profil
conique et leur décor caractéristique formé de
quatre globules cloisonnés, renvoient directement
aux abondantes séries de clous de caligae
9
MATTHIEU POUX, MICHEL FEUGÈRE, MATTHIEU DEMIERRE
recueillies à Alésia et Uxellodunum (BrouquierReddé 1997, p. 283 ; Girault 2007).
Les garnitures de ceinturon, représentés par
une boucle en D (n° 13) et un ardillon profilé
(n° 20) sont traditionnellement attribuées au cingulum légionnaire. Inconnue avant la conquête
romaine, la construction à ardillon est introduite
en Gaule par l’armée romaine (Poux 1999,p.65-66).
Plusieurs études récentes ont montré qu’elles pouvaient également se rattacher au harnachement
(Feugère 2002, p. 76).
Le “bouton à anneau”n° 10 possède une forme
bien spécifique, largement attestée sur les camps
du limes rhénan et britannique (Knebelverschlüsse,
button and loop fastener),traditionnellement identifiée à une attache de suspension de gladius ou
de pugio (cf. introduction supra ; Metzler 1995,
p. 353, fig. 288 n° 5-7). On suppose qu’elle servait à
fixer le baudrier supportant le poignard sous le
cingulum. Quelques exemplaires identiques sont
signalés à Feurs, ainsi qu’à Genève (cf. introduction supra, fig. $$) ou au Titelberg (Feugère 1983,
p. 51 ; Metzler 1995, p. 353 Abb. 188), dans des
contextes du Ier s. av. J.-C. également caractérisés
par une présence militaire romaine.
L’interprétation des boucles à ardillon de plus
petite taille peut prêter à discussion. Celle retrouvée chemin de la Croix est fixée à un fragment de
plaque en fer qui évoque l’extrémité d’une lanière
de fixation de cuirasse romaine : la perte de ces
accessoires liés au port de la lorica segmentata,
attesté dès l’époque augustéenne, explique leur
fréquence sur les camps du limes (par exemple à
Vindonissa : Unz,Deschler-Erb 1997,Taf.33-34).Une
vingtaine de boucles de même type ont été
recueillies sur l’oppidum du Titelberg, occupé au
lendemain de la conquête par les troupes
romaines (Metzler 1995, p. 356, 368,Abb. 191).
Datation, interprétation
Le plateau de Gergovie a livré une série de militaria restreinte mais variée et très bien caractérisée.
À l’instar de ceux recueillis dans les fossés de circonvallation, leur datation à la période de La Tène
D2b est bien assurée sur le plan typo-métrique.
Plusieurs d’entre eux (catapulte,fronde,scutum,cingulum, caligae) suggèrent la présence de soldats
romains sur le plateau, sans qu’il soit possible d’en
déterminer la nature ou la durée.Les projectiles ont
pu être théoriquement tirés lors du siège de 52 et
les armes abandonnées dans la retraite. Comme à
Uxellodunum, la concentration des pointes de
10
flèche, traits de catapulte et balles de fronde en
plomb sur le plateau et à ses abords s’accorde parfaitement avec la localisation de positions
gauloises bombardées par l’artillerie romaine.
La dispersion des autres découvertes et leur
association fréquente avec des mobiliers d’époque
augustéenne, comme dans la villa Aucler ou chemin de la Croix, plaident également pour une
occupation durable du site après la guerre des
Gaules. Cette hypothèse est confortée par la nature
des autres vestiges de cette période attestés sur le
plateau : ainsi, le recours systématique aux
constructions maçonnées, ouvrages de voirie et
structures artisanales fortement inspirées par les
techniques romaines et, surtout, l’édification d’un
nouveau rempart en pierre dans le troisième quart
du Ier s. av. J.-C., soit plusieurs années après la fin du
conflit.Les autres catégories de mobilier retrouvées
sur le site témoignent d’une acculturation très
rapide. En particulier, l’abondance des sigillées italiques (Deschamps 1997) : leur nombre, qui s’élève
à 857 vases NMI, ne trouve guère d’équivalent que
sur les camps du limes rhénan. Ces découvertes
accumulées entre le milieu et la fin du Ier siècle
avant notre ère indiquent que le site a connu un
processus de romanisation précoce et rapide.
Comparable à celui d’autres chefs-lieux de
Cité repris en main après la mort de César, ce
faciès peut être imputé à la présence de populations italiques ou romanisées de longue date :
l’hypothèse d’un stationnement de corps légionnaires ou auxiliaires pourrait expliquer la rapidité
du processus, en même temps que la récurrence
des militaria sur le site. Ce contexte militarisé se
reflète clairement dans les émissions monétaires
frappées sur le site postérieurement à la
conquête : les monnaies en argent ou en bronze à
légende EPAD “au guerrier”, frappées en grandes
quantités sur le site dès l’année 51 av. J.-C. (BnF
3900,plus de 200 exemplaires recensés à ce jour) :
leur revers figure un officier en tenue de légionnaire, désigné par l’inscription comme le chef
gaulois Epasnactos et qualifié par César de
« grand ami du peuple romain » (BG, VIII,44, 3).La
volonté de réinvestir symboliquement les positions militaires mises à profit par Vercingétorix
contre les armées romaines a pu motiver une
occupation durable du plateau de Gergovie. La
fondation d’un camp militaire au sein même d’un
oppidum gaulois, en tant que noyau d’une première tentative d’urbanisation entre la mort de
César et Auguste, correspond à un schéma bien
connu par ailleurs : sur le Titelberg (Metzler 1995),
MILITARIA TARDO-RÉBUBLICAINS EN CONTEXTE GAULOIS
AUTOUR DE GERGOVIE : DÉCOUVERTES ANCIENNES ET RÉCENTES
à Bâle-Münsterhügel (Berger, Helmig 1991) ou à
Lutèce (Poux 1999 ; Poux, Robin 2000), cette politique constitue le fer de lance du nouveau
pouvoir politique, économique et religieux
imposé à la Gaule conquise.
-
OPPIDUM DE CORENT
-
Sanctuaire
-
Le sanctuaire découvert en 1992 au centre de
l’oppidum de Corent a fait l’objet de fouilles
annuelles de 2001 à 2005 (Poux et al. 2002 et rapports inédits). Il a livré une collection très
abondante d’objets métalliques, liés aussi bien aux
rites de dépôts d’offrandes qu’à la construction du
sanctuaire et aux activités profanes qui avaient
cours dans son enceinte (cuisine et repas,artisanat
du fer et frappe monétaire notamment).Sa période
de fréquentation couvre une longue période, du
troisième quart du IIe s. av. J.-C. et la fin du IIIe s. de
notre ère. À l’époque de la conquête, au milieu du
Ier siècle av. J.-C., le sanctuaire est partiellement ou
entièrement démantelé, ses structures en bois rapidement remplacées par des bâtiments maçonnés.
Cet événement brutal marque une rupture fonctionnelle plutôt qu’architecturale. La raréfaction
des dépôts perceptible dans les décennies consécutives trahit un net ralentissement de son activité
(notamment monétaire), interprété dans le sens
d’un transfert du centre de gravité religieux, politique et économique vers le plateau de Gergovie
(Poux et al. 2002 ; Orengo 2003).
Parmi ces objets métalliques figurent régulièrement des pièces d’armement dont le nombre,
sans atteindre celui attesté sur les grands sanctuaires de Gaule septentrionale, n’est pas
négligeable. L’étude du mobilier métallique du
sanctuaire (Demierre 2006) a déjà comptabilisé
80 fragments d’armes ou d’équipement militaire
appartenant à diverses catégories : une vingtaine
d’éléments de boucliers (umbos, orles, manipules), une quarantaine de fragments d’épées ou
de fourreaux d’épée, une dizaine de pointes et
talons de lances miniatures (ou pointes de
flèches), ainsi que quelques éléments de cotte de
mailles, de casque, d’agrafes de ceinture ou de
chaînes de suspension de fourreau d’épée...
Quelques éléments liés aux derniers niveaux de
fréquentation et de destruction du sanctuaire gaulois (La Tène D2b, 60-40 av. J.-C.) appartiennent à la
sphère de l’équipement militaire romain (ill. 8):
-
-
-
Un bandeau en tôle de bronze décoré de nervures longitudinales, replié à une extrémité,
évoquant une applique de fourreau (n° 1,
objet incomplet).
Une virole de pilum endommagée de forme
quadrangulaire,comportant un décor de stries
obliques sur sa bordure proximale (n° 2).
Une balle de fronde (?) en plomb de section
ronde amincie aux deux extrémités (n° 3).
Un fragment droit d’orle de bouclier en fer à
gouttière (n° 4) ainsi que plusieurs éléments
curvilignes de section rectangulaire, dont un
comportant une réparation (n° 5-6).
Deux pointes à douille en tôle de fer repliée,
de très petite taille, identifiables à des pointes
de flèche (n° 7-8).
Un disque de lorica segmentata (?) en bronze
orné d’un décor de pétales stylisés composé
de petits trapèzes aux angles arrondis et soulignés par deux lignes successives (n° 9).
Un maillon en fer de cotte de maille, composé
d'un petit anneau aux extrémités aplaties et
rivetés (n° 10).
Plus d’une centaine de clous de sandales
(caligae) de gros module, à tête conique et
décor cruciforme et/ou globulaire, disséminés
sur les niveaux de sol du sanctuaire (n° 11).
Le bandeau nervuré n° 1 peut être identifié à
une barrette de suspension de gladius (Ferdière,
Villard 1993, p. 135 fig. 2-45) ; mais la même forme
d’applique se retrouve sur certaines entrées de
fourreaux tardifs de La Tène D (type Ludwigshafen,
notamment : Lejars 1996, p. 91 fig. 7).
La virole de pilum décorée de stries est issue
d’une zone perturbée du sanctuaire. Un parallèle
identique, présentant le même décor caractéristique, provenant d’un remblai du « sanctuaire de
Cybèle » du tout début du Ier s. ap. J.-C. (Desbat,
Maza 2005 : fig.63,p.82 et dans ce volume) permet
toutefois de rattacher cet objet à l’équipement
militaire romain du milieu ou de la seconde moitié du Ier s. av. J.-C.
Le type d’orle de bouclier à gouttière représenté sur la fig. 8 est attesté à plusieurs
exemplaires sur le site, où il figure en association
directe avec des umbos à ailette de type gaulois
(Orengo 2003). Une certaine ambiguïté demeure
néanmoins, du fait de sa présence dans les fossés
de circonvallation de La Roche Blanche et sur le
plateau de Gergovie (cf. supra, ill. 3). Issus de
contextes gallo-romains ou de transition entre
LT D2a et LT D2b, les fragments d’orles de section
11
MATTHIEU POUX, MICHEL FEUGÈRE, MATTHIEU DEMIERRE
8. Corent : militaria romains issus des fouilles du sanctuaire (2001-2005, dessins M. Demierre).
rectangulaire connus régionalement dans des
contextes plus récents comme à Larina ou à
Vienne-Sainte-Blandine sont à considérer avec la
même réserve (Perrin 1990, fig. 102, n° 372-374 ;
Chapotat 1970 : pl. I, n° 12 ; Orengo 2003: pl. 55,
n° 165). Il peut s’agir de garnitures d’armes
romaines aussi bien que gauloises.
Les deux hypothétiques pointes de flèche,
interprétées initialement comme un talon de
lance miniature (Poux et al. 2002) car dépourvues
de barbelure, se rattachent au type C d’A. Duval,
absent à Gergovie mais attribuable, d’après
d’autres contextes de découverte, aux forces
romaines plutôt que gauloises (cf. supra).
Le disque à décor de pétales stylisés, attesté
dès la période augustéenne (Bishop, Thomas
2002-2003, Cat. Ji, fig. 72, 8 ; Unz, Deschler-Erb 1997 :
12
Taf. 31, 643-647) peut tout autant correspondre à
un élément de décoration de lorica segmentata
que de casque (Deschler-Erb 1999, p. 30, fig. 25).
Associé dans un contexte augustéen à de nombreux clous de chaussures de type militaire, il
atteste la fréquentation du site par des soldats de
l’armée romaine au début de l’Empire.
Le maillon de cotte de maille riveté,découvert
hors contexte, peut sans doute être attribué à un
fragment de lorica hamata comme le confirme sa
similitude avec de nombreuses découvertes galloromaines (Voirol 2000, pl. 7, 49). Sa présence dans
la tombe aristocratique de Boé, datée de LT D2b
laisse envisager l’utilisation de ce type de cotte de
maille par les auxiliaires gaulois de César
(Schönfelder 2002, b. 35 ; Gorgues, Schönfelder,
dans ce volume).
MILITARIA TARDO-RÉBUBLICAINS EN CONTEXTE GAULOIS
AUTOUR DE GERGOVIE : DÉCOUVERTES ANCIENNES ET RÉCENTES
Les clous de sandales (caligae), particulièrement nombreux, appartiennent aux mêmes
variantes que celles recueillies dans les fossés de
circonvallation et sur le plateau de Gergovie. La
totalité des types de décors découverts à Alésia y
sont représentés (le type à décor cruciforme sans
globule excepté).
Habitat
L’inventaire qui précède ne concerne que les
fouilles et les sondages effectués entre 2001
et 2004 et antérieurement.L’exploration d’un quartier de l’oppidum situé au nord du sanctuaire,
amorcée en 2005 et poursuivie en 2006, a livré de
nouveaux éléments, dont certains sont présentés
ici à titre préliminaire (ill. 9) :
- Deux pointes de flèche en fer à une barbelure,
du même type que celles recueillies sur le plateau de Gergovie, à Alésia et Uxellodunum
(n° 1, second exemplaire non illustré).
- Une garniture d’applique en bronze (n° 2),
dont le motif cruciforme et la structure en
tronçons de gouttières ne sont pas sans évoquer le décor de certains fourreaux de
gladius tardo-républicains comme celui de
Pîtres-La Remise ou de la rivière Ljubljanica
(cf. introduction,supra et les contributions de
Th. Dechezleprêtre, J. Istenic, dans ce volume).
- Ce constat s’applique également au scalpel
bimétallique (n° 3) à manche en bronze.
- Trois attaches de baudrier ou de ceinturon en
bronze coulé, formées d’un anneau circulaire
(n° 4-5) et triangulaire (n° 6), surmontés d’un
bouton à barre transversale en forme de « T ».
- Deux boîtes à sceau en forme de bourse,
d’époque tardo-républicaine (n° 7-8), dont
une munie d’un couvercle décoré d’une effigie de Mercure, ainsi qu’une troisième de
forme carrée, de typologie plus tardive (n° 9 :
époque augustéenne ?).
- Plusieurs orles de bouclier curvilignes ou rectilignes de même type que ceux décrits plus
haut pour le sanctuaire attenant (non illustrés).
- Plusieurs dizaines de clous de caligae en fer dispersés au sommet des bâtiments et à leurs
abords, dont plusieurs exemplaires de gros
module à tête conique et décor interne (n° 10).
La pertinence des pointes de flèche à une barbelure en tant qu’indicateur d’une présence
militaire césarienne a déjà été discutée plus haut.
Les clous de caligae appartiennent, pour la plupart, aux mêmes variantes précoces que celles
recueillies sur les sanctuaires. L’empierrement
sondé en 1992 par V. Guichard au nord du sanctuaire en avait déjà livré de nombreux
exemplaires. Leur concentration dans certains
secteurs évoque même la perte ou le dépôt de
semelles entières (Orengo 2003,p. 123,125,fig.39).
En revanche, l’identification d’une applique de
fourreau de gladius ou de pugio reste hypothétique compte tenu de son état très fragmentaire.
Les anneaux à bouton en « T » (Knebelverschlüsse)
sont intéressants, dans la mesure où leur construction très caractéristique n’est pas attestée parmi le
répertoire indigène des agrafes de ceinturon à bouton simple. Les deux anneaux circulaires figurent à
double exemplaire dans une sépulture à incinération récemment fouillée à Feurs (Loire), qui a livré
une grande épée à cannelures médianes interprétée comme une arme de cavalerie romaine
contemporaine de la guerre des Gaules (Riquier,
dans ce volume). Leur présence dans la même
tombe et leur parenté morphologique avec les
agrafes de ceinturon laténiennes incite à les rattacher à un mode particulier de fixation de la spatha
(ou du baudrier). L’attache triangulaire n° 6 correspond à un type déjà rencontré à Gergovie,interprété
comme une attache de baudrier lié à des armes
plus légères, pugio ou gladius (ill. 5).
Bien que n’appartenant pas à l’équipement
militaire stricto sensu, les boîtes à sceau se distinguent à la fois par leur fréquence inhabituelle et
par leur typologie précoce. Les deux exemplaires
en forme de bourse sont attribuables à l’époque
césarienne, dont un type très rare orné d’un décor
estampillé, représentant Mercure tenant une
bourse, coiffé du pétase. Un exemplaire pratiquement identique est signalé sur l’oppidum de
l’Altenburg en Allemagne du sud,daté de l’extrême
fin de La Tène D2 (Fischer 1975, fig. 22). On admet
que l’usage de ce type d’accessoires était réservé,à
cette époque,à l’administration militaire.Ce constat
s’applique également au scalpel bimétallique à
manche en bronze et lame en fer découverte dans
les mêmes contextes.Ce type bien spécifique d’instrument chirurgical, inconnu en Gaule avant la
conquête mais indispensable aux armées
romaines en campagne, trouve plusieurs parallèles
sur les camps militaires tardo-républicains de la
péninsule ibérique ou sur les camps du limes
augustéen (Künzl 1991).
Faute d’un examen systématique et d’une restauration préalable des objets ferreux,cet inventaire
13
MATTHIEU POUX, MICHEL FEUGÈRE, MATTHIEU DEMIERRE
ne saurait être considéré comme exhaustif. Le
nombre d’objets susceptibles de se rattacher à
l’armée romaine et à ses activités n’en est que
plus remarquable. Majoritairement datés de La
Tène D2, ils proviennent tous de niveaux antérieurs à l’époque augustéenne, liés à de grands
bâtiments dont les techniques de construction trahissent une forte influence méditerranéenne :
radiers et murets en pierres sèches, bases de pilier
en calcaire,toits couverts de tuiles dont la morphologie et la pâte sont comparables à celles de tuiles
tardo-républicaines de Lyon-Sanctuaire de Cybèle
(examen A. Desbat). Ils y sont associés à de petits
ustensiles de toilette, à d’autres instruments de toilette et de chirurgie (sonde, pincettes), à une
pyxide ou encrier en bronze, à des éléments de
vaisselle métallique (passoires, cruches), à une
lampe à huile tardo-républicaine à orifice central,à
des variantes rares de vaisselle campanienne
(pyxides, plat à poisson), à des amphores de
l’Adriatique (Lamboglia 2), à des monnaies de la
République romaine et de Marseille (drachmes et
oboles), ainsi qu’à plusieurs potins d’un type jusqu’alors inconnu en Gaule centrale, frappés par les
Cantii de l’île de Bretagne (Cantii, La Tour 9541).
Une découverte exceptionnelle ajoute à la
particularité de cet ensemble : une paire de
fibules de type Almgren 65 en or massif,reliées par
une chaînette, correspond à un type de parures
exogène d’origine italique, fabriquée en Gaule
Cisalpine ou en Narbonnaise et importées sur le
site entre les années 60 et 40 av. J.-C. Elles sont
interprétées comme un insigne militaire ou politique, parvenu en Auvergne dans le sillon des
armées césariennes durant la guerre des Gaules
ou les guerres civiles (Poux à paraître).
Datation, interprétation
9. Corent : militaria romains issus des fouilles de l’habitat
(2005-2006, dessins M. Demierre, A. Pranyies).
14
La petite série de militaria recueillis dans l’enceinte du téménos peut être rapprochée de celle,
encore inédite, découverte sur le sanctuaire de
Mercure Dumias au Puy-de-Dôme (Feugère à
paraître).Le sanctuaire de Ribemont-sur-Ancre dans
le Belgium, de statut et de chronologie identiques à
celui de Corent, a également livré de nombreuses
armes et pièces d’équipement romaines (Viand,
Pernet, Delestrée, dans ce volume). Par analogie
avec les dépôts d’armement effectués durant la
période gauloise, il est tentant de les interpréter
comme des trophées ou des offrandes guerrières.
La perte de certaines armes peut également être
liée à la destruction des lieux de culte ou à leur fréquentation ponctuelle par des militaires stationnés à
proximité, hypothèse formulée par Jean-Louis
Brunaux et L.-P. Delestrée à propos de Ribemont-surAncre. Ce pourrait être le cas de certains militaria
recueillis à Corent,où le dépôt d’armes est largement
minoritaire.Plusieurs d’entre eux (n° 1,2,4,7) étaient
MILITARIA TARDO-RÉBUBLICAINS EN CONTEXTE GAULOIS
AUTOUR DE GERGOVIE : DÉCOUVERTES ANCIENNES ET RÉCENTES
concentrés dans la couche de destruction d’un petit
enclos cultuel démantelé à l’époque de la Conquête
(La Tène D2b). Ils y figuraient en association avec
une dizaine de pièces de monnaie de type “EPAD au
légionnaire”, d’autant plus significative que ce dernier type était pratiquement absent des abondantes
collections monétaires recueillies sur le sanctuaire et
l’oppidum environnant (Poux et al.2002).
Cette conjonction d’indices archéologiques
s’inscrit dans une phase de démantèlement systématique et brutale du sanctuaire, qui marque
l’abandon rapide de l’oppidum de Corent au profit de Gergovie, lequel semble intervenir très peu
de temps après la guerre des Gaules. Mêlées à un
ultime dépôt d’offrandes précédant le comblement des structures, la présence de quelques
militaria tardo-républicains ressortit sans doute au
même contexte.Elle accompagne un changement
abrupt de nature du site et de son statut régional
sur lequel plane l’ombre d’Epasnactos, probable
officier auxiliaire de l’armée romaine dont les
monnaies annoncent la réorganisation du territoire arverne à la fin des années 50 av. J.-C.
Les autres militaria rencontrés parmi les structures d’habitat récemment fouillées au nord du
sanctuaire ne contredisent pas ce schéma historique. Recueillis dans les niveaux de la seconde
phase de reconstruction et d’occupation de l’oppidum,datés de l’époque césarienne ou augustéenne
pour les plus récents, aucun ne peut être imputé à
la période qui précède la guerre des Gaules. Leur
présence peut aussi bien être liée aux événements du siège de Gergovie qu’à une occupation
du plateau postérieure à la défaite d’Alésia,
contemporaine de celle attestée à la même
époque sur le plateau voisin de La Roche Blanche.
GONDOLE
Cet inventaire détaillé exclut une série de mobiliers militaires recueillis lors des fouilles effectuées
en 2005 et en 2006 aux abords immédiats de l’oppidum de Gondole, présentés dans une
contribution distincte (Deberge, dans ce volume).
Elles ont mis au jour un important quartier artisanal situé en bordure d’une voie en contrebas du
rempart laténien, comportant plusieurs caves, cinq
fours de potiers et de nombreux puits. La production issue des fours comporte surtout des
imitations locales de céramiques gallo-romaines
précoces (plats à enduit rouge pompéien,cruches,
pots et vaisselle de table). Le mobilier des fosses
environnantes témoigne d’une occupation centrée
autour du milieu du Ier s. av. J.-C. (La Tène D2b).
Quelques armes et pièces d’équipement en
fer et en bronze figuraient au sein des vestiges
datés de La Tène D2b,notamment,un casque quasiment intact de type Port, deux lames d’épée, un
fer de lance, une pointe à douille de section quadrangulaire, une forme de crochet très proche de
celle des agrafes de spathae connues pour le
Haut-Empire, et un pic-herminette de type identique à celui recueilli sur le site de La
Chaussée-Tirancourt, deux boucles de ceinture à
ardillon et cadre trapézoïdal proches de celles
recueillies dans le puits du Sénat à Paris, à
Bibracte et à Ribemont-sur-Ancre (dans ce
volume). L’association de plusieurs de ces armes
dans une grande cave comblée à la fin de La Tène
D2 évoque le dépôt d’une panoplie complète ;
celle d’un auxiliaire plutôt que d’un légionnaire,à
en juger par certains marqueurs (casque,lances et
fer à douille, épées et agrafe de spatha).
LES MARTRES-DE-VEYRE
Cette nécropole fouillée au début du XXe siècle
en marge de la commune des Martres-de-Veyre, est
surtout réputée pour l’état de conservation exceptionnel des vestiges organiques retrouvés dans
certaines tombes (cercueils et objets en bois, cheveux,vêtements en tissus,accessoires en cuir,fruits),
préservés par les émanations d’acides carboniques
qui caractérisent ce secteur (Provost, MennessierJouannet 1994, 182-186, avec bibliographie). Elle se
situe à l’aplomb du plateau de Corent dont elle
constitue peut-être la nécropole principale,à l’instar
de celles du Rebout à Bibracte, ou de Lamadelaine
au Titelberg. En effet, si la majorité des sépultures se
rattache à la période augustéenne, des mobiliers
plus anciens, datés de La Tène D, sont signalés par
V. Guichard parmi les collections du musée Bargoin
(rapport inédit). Les restes anthropologiques, la présence de vêtements féminins,de matériel de filage et
de tissage, permettent d’attribuer la plupart des
tombes documentées à des individus de sexe féminin ; aucune d’entre elles n’a livré de dépôts
d’armes. Un important travail d’étude des collections anciennes reste néanmoins à effectuer, qui
pourrait aboutir à une reprise des fouilles dans les
secteurs inexplorés de la nécropole.
Le seul objet militaire conservé dans ces collections correspond à un casque de type italique
retrouvé au XIXe siècle (ill. 10). Sa découverte lors
15
MATTHIEU POUX, MICHEL FEUGÈRE, MATTHIEU DEMIERRE
de travaux d’aménagements d’une voie ferrée est
signalée dès 1856 par l’érudit local P.-P. Mathieu,
qui a aussi suivi les fouilles de Stoffel à Gergovie :
situé « à une grande profondeur, confondu avec
les os du squelette »,il figure encore parmi les collections du musée Bargoin à Clermont-Ferrand
(n° d’inv. 56-397.1).
L’objet est identifié par J. Déchelette comme
appartenant à la série des casques de type
étrusco-italique à bouton sommital (Déchelette
1927, p. 668, fig. 489). De forme semi-ovoïde, surmonté d’un bouton à impression florale, il est
pourvu d’un couvre-nuque rehaussé d’un décor
de lignes gravées en registres horizontaux – arêtes
de poisson,pointillés,esses emboîtées terminées à
chaque extrémité par des demi-esses, traits
obliques groupés par deux formant un triangle au
milieu du couvre-nuque.
Inconnu en Gaule avant la conquête de la
Transalpine, ce casque est caractéristique des
légions romaines de la République (Feugère 1994a,
p.10).En usage tout au long du IIe siècle avant notre
ère,sa forme tombe en désuétude au début du Ier s.
av.J.-C.Il constitue donc l’objet le plus ancien de cet
inventaire, antérieur de plus d’un demi-siècle aux
militaria de Gergovie et de Corent.Le meilleur parallèle réside dans le casque à bouton sommital
retrouvé dans la sépulture de Saint-Laurent-desArbres dans le Gard, en association avec une épée
et un umbo de bouclier gaulois datés du Ier siècle
(Barruol, Saujade 1969, fig. 19 bis, 10).
10. Les Martres-de-Veyre : casque en bronze à bouton sommital
de type étrusco-italique (photo M. Feugère).
16
Quant à savoir par quelles voies et selon
quelles modalités il a pu parvenir en Auvergne à
une date aussi haute, l’absence de contexte et la
dispersion d’éventuels des mobiliers associés ne
permettent pas d’être catégorique.Sa datation très
ancienne permettrait, en théorie, d’établir un lien
avec la défaite des Arvernes alliés aux Allobroges
en 121 av. J.-C. Compte tenu de la durée d’utilisation de ce type d’armes, encore sporadiquement
attestées au début du Ier s. av. J.-C., cette piste reste
néanmoins très fragile et les possibilités d’interprétation innombrables : souvenir rapporté par un
mercenaire gaulois engagé en Italie ou en
Narbonnaise ? Indice ténu d’une première tentative d’occupation militaire romaine consécutive à
la défaite de Bituit ? Trophée emporté sur le
champ de bataille, par un guerrier arverne pour
commémorer une victoire individuelle ?
CLERMONT-FERRAND, RUE NIEL
Un dernier ensemble d’objets exposés au
musée Bargoin de Clermont-Ferrand a pu être
récemment identifié, qui présente certaines affinités typologiques et fonctionnelles avec le mobilier
découvert à Gergovie et à Corent.
Il provient d’une fouille effectuée dans des
conditions d’urgence entre 1967 et 1969, sous la
surveillance de M. Souchon et F. Malacher. Une
série de sépultures à inhumation et à incinération
repérées à l’angle des rues Niel et de la Liève, ont
révélé l’existence d’une petite nécropole du HautEmpire, implantée au nord-ouest de la ville
antique de Clermont-Ferrand/Augustonemetum
(Fournier 1970, p. 441).
L’une des tombes à incinération a livré un lot
d’armes et projectiles en fer,associés à un « plat en
terre cuite » qui ne figure pas dans les inventaires
du musée. Ce lot comprend huit fers parfaitement
conservés et bien identifiables, appartenant à différentes catégories d’armement (ill. 11) :
- Une arme en fer (n° 1), longue de 25,7 cm,
pourvue d’une soie plate, de section quadrangulaire et d’une lame à bords parallèles et
pointe triangulaire ; longue de 17,7 cm,large de
3,4 cm à la garde, pour 0,7 cm d’épaisseur, la
lame présente deux tranchants rectilignes et
trois cannelures parallèles qui soulignent
l’arête médiane sur ses deux faces.
- Un fer de lance ou de javelot (n° 2) foliacé à
faces planes dépourvues de nervure médiane,
long de 15,7 cm pour une largeur maximale
MILITARIA TARDO-RÉBUBLICAINS EN CONTEXTE GAULOIS
AUTOUR DE GERGOVIE : DÉCOUVERTES ANCIENNES ET RÉCENTES
de 4 cm, emmanché sur une douille circulaire
en tôle de fer.
- Deux pointes d’épieu en fer, de longueur différente (n° 3, 4) (13,6 cm ; 1,1 cm) formés d’une
douille circulaire, d’une tige massive et d’une
pointe peu marquée, de section carrée.
- Quatre armatures de flèches ou de traits (n° 5-8),
de taille croissante (7,1 cm, 9,5 g ; 7,8 cm,
12,5 g ; 8,2 cm, 13,5 g ; 9,6 cm, 13 g) et de fabrication identique : douille circulaire en tôle de
fer repliée, prolongée par une pointe massive
de section carrée. Les deux premiers présentent un profil conique continu ; les deux
derniers, un léger resserrement à la transition
de la douille et de la pointe.
La datation de ces éléments pose problème,
du fait de la disparition du plat céramique. La
période d’utilisation de la nécropole, mal établie,
couvre le Ier et le IIe siècle de notre ère. La chrono-
logie des estampilles sur sigillée ne remonte pas
en deçà de l’époque claudienne (Provost,
Mennessier-Jouannet 1994, p. 235). Mais le caractère ponctuel des découvertes et l’état lacunaire
de la documentation ne permettent pas de retenir
cet argument a silentio. Dans l’attente de nouvelles données, la datation de cet ensemble ne
peut guère s’appuyer que sur la typologie intrinsèque des objets et leur association.
L’arme de poing découverte dans cette tombe
semble au premier abord totalement atypique. On
pourrait la décrire comme un poignard si les
caractéristiques de la poignée, la forme et la section de la lame ne s’y opposaient formellement.La
lame ne comporte pas le cintrage caractéristique
de ces armes, qui se retrouve sur les gladii précoces et naturellement sur les fourreaux de ces
deux armes (Scott 1985, p. 189-190 ; Unz, DeschlerErb 1997, Taf. 10, n° 184-189 ; Hübener 1973, Taf. 8,
n° 13). La pointe courte et triangulaire
est en revanche un trait constant des
gladii de type Pompéi, à partir du milieu
du Ier s. ap. J.-C., et dans une moindre
mesure des spathae.Les cannelures longitudinales constituent, de leur côté, un
trait bien connu des armes romaines.
On les rencontre sur les poignards, à
partir de Claude (mais il s’agit plutôt
alors de cannelures épaulant une côte
médiane : Scott 1985 ;Thiel,Zanier 1994 ;
Connolly 1997), et jamais sur les gladii,
dont la section est toujours losangique
(Connolly 1997). L’exemple le plus
ancien que l’on connaisse est sans
doute l’épée de cavalerie déjà citée
plus haut, découverte dans la tombe de
Feurs, datée de LT D2 et associée à des
anneaux à bouton “en T”qui constituent
la forme précoce des attaches d’épées
et de poignards romains (cf. Ricquier,ce
volume) : il s’agit probablement de la
tombe d’un auxiliaire indigène ayant
servi dans l’armée romaine. On note en
outre que les cannelures de l’épée de
Feurs s’arrêtent à mi-longueur : un raccourcissement de la lame pourrait
facilement s’arrêter avant ce décor. Par
la suite, les seules armes romaines qui
comportent normalement ces cannelures parallèles sont également des
épées longues (spathae),épées de cavalerie adoptées par l’infanterie romaine
11. Sépulture de Clermont-Ferrand, rue Niel, sépulture : armes et projectiles en fer
à partir du IIIe s. de notre ère (Feugère
(d’après Fournier 1970).
17
MATTHIEU POUX, MICHEL FEUGÈRE, MATTHIEU DEMIERRE
1993, p. 147-156 ; Thomas et al. 2001). Dans notre
ensemble funéraire, la forme de la soie, la lame
aux tranchants parallèles et les cannelures longitudinales pourraient donc fort bien appartenir à
une spatha recoupée et retaillée.
L’interruption des cannelures, dans ce cas de
figure, peut être expliquée de deux manières différentes. Il est possible qu’un simple meulage de
la lame en épaisseur pour façonner la pointe ait
eu pour effet d’interrompre ces cannelures. Mais
on peut aussi imaginer un travail plus soigné
impliquant une reprise, à la forge, de la pointe sur
laquelle ce travail aurait lui aussi fait disparaître
toute trace du décor à cet endroit. Des armes gauloises et romaines, transformées en accessoire
domestique ou outil, ont été retrouvées dans
quelques contextes funéraires : ainsi,un casque de
type Alésia a été transformé en chaudron,par martelage de son ouverture et adjonction d’une anse,
avant d’être déposé dans le puits (funéraire ?) de
Saint-Jean-de-Castex à Vic-Fezensac,Gers,(Feugère
1994b, p. 68) ; on peut également citer les deux
glaives transformés en scies de la nécropole de
L’Hospitalet-du-Larzac (Aveyron), qui montrent
que de telles transformations pouvaient impliquer
un travail de forge approfondi (Feugère 1993,
p. 123, fig. 3, 2-3).
Il resterait à dater l’arme à partir de laquelle ce
poignard ou,si l’on préfère,cette épée courte a été
aménagée. La largeur de la lame, en l’estimant
inchangée, désigne une arme précoce, en tout cas
antérieure à la fin du IIIe s. ap. J.-C., puisqu’à partir
de 300, cette dimension s’agrandit régulièrement
jusqu’à la fin du IVe siècle (Schulze-Dörrlamm
1985, p. 542,Tab. 1). La présence de cannelures ne
semble pas constituer un critère datant, puisque
ce décor s’observe à la fois sur des épées du IIIe s.
et sur les deux spathae de Canterbury, enfouies
dans une tombe vers 200 de notre ère (Webster
1982 ; Feugère 1993,p.151).Le fait que les lames de
spathae des Ier-IIe siècles ne semblent pas cannelées n’est pas un critère très utile, le nombre
d’armes de ce type connues à cette époque étant
trop faible : l’exemple de Feurs montre en outre
que ce caractère peut exister dès LT D2. Rien ne
s’oppose donc à une datation de cette arme
dans les limites chronologiques de la nécropole,
env. 50-200 ap. J.-C., sans que l’on puisse préciser
davantage à partir de ce seul élément.
Les deux traits en fer (n° 3, 4) appartiennent à
une catégorie bien reconnue d’armes romaines
caractérisées par une douille prolongée par une
tige et une pointe plus ou moins marquée, de sec-
18
tion généralement carrée. Bien que se rapprochant
morphologiquement des pila “à douille” qui succèdent dès la fin de la République aux pila à soie
plate et pointe lancéolée (Connolly 1997, p. 46
fig.4),elles s’en distinguent par leur longueur inférieure à 15 cm, qui plaide pour un usage différent,
comme épieu ou projectile. Certes, ce type de
“pointe à douille” a pu être utilisé de manière
polyvalente, emmanché sur une hampe ou tiré à
l’aide d’une catapulte ou d’un arc massif (Sievers
2001, p. 167 ; cf. introduction supra, pages $$). Mais
la tombe contenait également quatre pointes de
flèche de facture similaire, à peine plus courtes
(moins de 1,5 cm d’écart, pour la plus longue),
mais certainement plus légères. Or, on sait qu’une
arme à tension (manuelle ou mécanique) ne peut
expédier que des projectiles d’un poids normalisé. On préférera donc voir dans les premiers des
pointes d’épieu, c’est-à-dire des armes utilisées à
la chasse pour achever une bête blessée ou chargeant. Ces armatures, peu typiques, ne peuvent en
fait être clairement identifiées que dans les rares
ensembles funéraires que leur mobilier permet de
reconnaître comme des tombes de chasseurs (ex.
à Narbonne : Amandry et al. 1996-1997). La tombe
de la rue Niel représente dans ce dossier un cas
d’école, comme nous allons le voir en examinant
le reste de son armement.
La forme du fer de lance (ou de javelot) (n° 2)
est caractéristique des contextes postérieurs à la
conquête romaine : cette forme de fer losangique,
à empennage convexe et carène basse est attestée
dès l’époque césarienne, jusqu’au Bas-Empire
(Feugère 1993 ; introduction supra, page $$). La
longueur importante de la douille par rapport à
celle de l’empennage constitue un critère de distinction d’avec les fers de lance laténiens. Le fer
de la rue Niel se distingue des fers de javelot
tardo-républicains recueillis à Alésia et
Uxellodunum,caractérisés par une forme plus effilée à carène médiane (Sievers 2001, pl. 63-64 ;
Girault 2007). Le rapport (5 cm, respectivement
10 cm) s’inscrit également dans la fourchette
métrologique des lances et javelots en usage au
début de l’époque romaine.Un autre indice réside
dans la fréquence des empennages à carène
basse parmi le mobilier d’Augsburg-Orberhausen
(Hübener 1973, Taf. 6, n° 3, 6, 22-24), qui suggère
une large diffusion de cette forme à l’époque
tibéro-claudienne.
Une base statistique plus fiable est fournie par
les quatre armatures à simple pointe (n° 5-8), que
nous avons ci-dessus distingué des épieux de taille
MILITARIA TARDO-RÉBUBLICAINS EN CONTEXTE GAULOIS
AUTOUR DE GERGOVIE : DÉCOUVERTES ANCIENNES ET RÉCENTES
nettement supérieure. Ce type de fer à douille, de
forme conique ou légèrement échancrée à la
base de la pointe, est attesté dès l’époque tardorépublicaine, en association avec les pointes de
flèche à une barbelure, caractéristiques des horizons de la guerre des Gaules. Il correspond aux
pointes de flèche du type A d’A. Duval (1970),
identifié à partir des découvertes d’Alésia (Sievers
2001, pl. 80, n° 578-582) et documenté à plus de
400 exemplaires parmi les pointes de flèche du
Puy-d’Issolud (cf. introduction supra, fig. $$), jusqu’à Smihel en Slovénie (Horvat 1997, p. 112 fig. 8,
n° 6-19). De morphologie identique, leur production en série recouvre plusieurs variantes de taille
(entre 5 et 8 cm de longueur) et de forme (section
ovale, circulaire ou quadrangulaire, arêtes et
pointe plus ou moins marquées). Leur accumulation sur les sites militaires républicains et leur
absence dans les contextes gaulois indubitablement antérieurs à la conquête plaide pour une
innovation liée à l’irruption des armées romaines
et ses corps archers auxiliaires (cf. introduction
supra, p. $$). Sans disparaître complètement, cette
forme de flèche devient nettement minoritaire à
partir de la période augustéenne ; elle cède le pas
aux pointes de flèche trifoliées, attestées en grand
nombre sur les camps du limes (Unz,Deschler-Erb
1997,Taf.20 336-358) et certains sites coloniaux de
Gaule interne, comme à Lyon-Verbe Incarné
(Desbat, Maza, dans ce volume).
Il n’est pas possible, pour autant, d’avancer
une datation précise ou une fonction définitive
pour cette forme basique de trait à section carrée, dont la parenté avec les deux fers à douille
présents dans la même tombe a déjà été soulignée. Ils présentent également des affinités avec
les traits de catapulte à pointe effilée du HautEmpire, documentés en grand nombre à
Vindonissa (Unz, Deschler-Erb 1997, Taf. 23-24).
L’attribution des pointes de la rue Niel à l’une ou
l’autre catégorie n’est pas aisée : si la dernière
apparaît suffisamment longue pour catapulte
(près de 10 cm), ce n’est pas le cas des trois premières (7-8 cm). Ces mesures côtoient la limite
haute de la fourchette obtenue à partir des
pointes de flèche d’Alésia et du Puy-d’Issolud.On
pourrait objecter que certains traits de
Vindonissa de même calibre ont également pu
être tirés avec un arc léger.
Une dernière piste a été récemment avancée à
propos d’un fer identique découvert à Montagnac
(Hérault) : à mi-chemin entre trait de catapulte et
pointe de flèche, ses mesures (8,8 cm) et sa typo-
logie se rapprochent très étroitement de celles des
fers de la rue Niel (Feugère 2002, p. 102 fig. 14
n° 95). Il pourrait s’agir d’un trait d’arbalète, arme
réservée, à l’époque romaine, à la pratique de la
chasse (Baatz 1991).Les exemplaires recueillis sur
les camps militaires interdisent de généraliser
cette hypothèse en l’absence d’études métriques
plus approfondies. C’est peut-être, en fait, le poids
de ces armatures (rarement noté) qui pourrait
permettre d’établir une distinction entre les armatures de traits d’arbalète et les traits de petite
catapulte, les premiers devant être plus légers.
Dans le contexte de la rue Niel, où la reconnaissance de pointes d’épieux nous a déjà amenés à
évoquer l’hypothèse d’un armement de chasse,
l’identification de traits d’arbalète peut apparaître
comme un argument fort, dans la mesure où cette
arme, qui dérive pourtant de la technologie des
tormenta hellénistiques, ne semble jamais avoir
été utilisée dans l’armée, mais strictement réservée à la chasse. De plus, on notera la relative
proximité géographique entre Clermont-Ferrand
et les deux seuls reliefs romains sur lesquels apparaissent à ce jour des arbalètes, les sculptures de
Salignac-sur-Loire et de Saint-Marcel, chez les
Vellaves. La datation de la rue Niel pourrait également être compatible avec celle des reliefs, datés
par D. Baatz de la deuxième moitié du IIe s. apr. J.-C.
(1991, p. 284).
Pris dans sa globalité, ce lot présente des
caractères typologiques qui convergent vers une
datation au Haut-Empire, dans le Ier ou IIe s. de
notre ère.La spatha retaillée ne permet pas de préciser cette chronologie, on l’a vu, et les datations
tardives actuellement disponibles pour les arbalètes gallo-romaines ne doivent pas nous interdire
de nous interroger sur les formes précoces d’une
arme qui dérive, finalement, de prototypes hellénistiques. Nous proposons de voir dans
l’ensemble funéraire de la rue Niel un ensemble
destiné à la pratique de la chasse, dont certaines
pièces (l’arme de poing, le javelot) ont pu être
détournées de leur usage militaire, alors que
d’autres (les épieux, les traits d’arbalète) sont des
armes spécifiques de la chasse. En dehors de
textes célèbres, comme Le Testament du Lingon,
qui nous en donne une simple description (Le
Bohec 1991), cet armement étant très mal connu
du point de vue archéologique, nous insisterons
sur le caractère remarquablement complet de cet
ensemble, qui pourrait inciter les archéologues à
réexaminer d’autres lots d’armes pouvant avoir
connu le même usage.
19
MATTHIEU POUX, MICHEL FEUGÈRE, MATTHIEU DEMIERRE
En ce qui concerne l’interprétation socioculturelle de cet ensemble,rappelons que la tombe
de Chassenard, au nord de l’Auvergne, a livré une
pointe de flèche à double barbelure, considérée
dans la publication comme une arme de chasse
plutôt que de guerre (Beck, Chew 1991, p. 48). Il
faut donc réexaminer systématiquement les
tombes à armes, notamment dans le centre de la
Gaule, en s’interrogeant sur les critères qui pourraient nous permettre de distinguer le mobilier
militaire de l’équipement de chasse.
Le dépôt funéraire de la rue Niel, inscrit dans
une nécropole civile en marge de l’agglomération
d’Augustonemetum, n’entretient pas un lien direct
avec la sphère militaire. Des vétérans ont pu rapporter chez eux,après leur service,les armes qu’ils
avaient acquises de leurs deniers. Certaines
d’entre elles ont pu servir à pratiquer la chasse,
d’autres encore (L’Hospitalet-du-Larzac) se transformer plus utilement en outils de la vie
quotidienne. Mais tout nous porte à croire que la
chasse, notamment pratiquée comme un art spécifique, avec ses règles et son armement
particulier, a pu évoluer dès l’époque romaine
comme une activité sociale, sélective et sophistiquée. On serait alors en présence des premiers
développements de l’évolution qui conduira, au
Moyen Âge, aux savants traités décrivant une pratique érigée au rang d’art aristocratique. Entre la
venatio et la venaison, l’ensemble funéraire de la
rue Niel marque un jalon important dans l’histoire
de la chasse.
CONCLUSION
Les éléments rassemblés dans les pages qui
précèdent ne constituent que la pointe émergente
d’une série certainement plus fournie, amenée à
s’étoffer au fil des fouilles, des prospections et des
études de collections.Bien que souvent associés à
de l’armement gaulois, ils témoignent d’une présence militaire romaine bien perceptible,dans des
contextes datés entre le milieu du Ier s. av. J.-C.
(Gergovie et Corent, La Tène D2b) et la fin du Ier s.
ap. J.-C. (Clermont-Ferrand, rue Niel).
Du point de vue de l’historiographie, il est
symptomatique d’observer que ces éléments
n’ont guère suscité l’intérêt des érudits locaux
opposés sur la question de Gergovie, focalisés sur
la topographie du site et l’exégèse du De Bello
Gallico. Ces découvertes marquent, pourtant, une
forte concentration sur le territoire de la com-
20
mune de La Roche Blanche. Ils figurent avec régularité dans les fouilles anciennes et récentes, dans
des quantités sans équivalent sur le plan régional.
Cette récurrence souligne, par contraste, leur
absence ou leur rareté sur les autres oppida de
Basse-Auvergne. Si des accessoires de harnachement et de parure militaire ont été recueillis sur
les sanctuaires de Corent ou du Puy-de-Dôme
(Poux et al. 2002 ; Feugère à paraître), ils y figurent
plutôt au titre de simples offrandes,liées à une fréquentation militaire épisodique. Les quelques
militaria tardo-républicains recueillis dans la
couche de destruction du sanctuaire de Corent,
datée du milieu du Ier s. av. J.-C. sont liés à un
contexte historique bien particulier, qui voit la
destruction et la reconstruction du sanctuaire
après la guerre des Gaules. Quant à ceux récemment découverts dans les quartiers d’habitat
environnants, contemporains de la Conquête ou
légèrement postérieurs, l’état d’avancée des
études ne permet pas encore de tirer des conclusions définitives. Leur association avec des
structures architecturales et divers mobiliers
témoignant d’un fort degré de romanisation
(radiers de pierre, tuiles, lampe, fibules italiques,
boîtes à sceau, scalpel et céramiques d’importation) suggère la présence,sur le site,d’individus en
contact étroit avec les armées romaines.
Les armes et pièces d’équipement militaire
romain (casque, épée, javeline, pic-herminette)
récemment recueillis en association au fond et
aux abords d’une cave fouillée devant le rempart
de Gondole soulèvent eux-mêmes de nombreuses
questions qui ne pourront être résolues que par la
poursuite des fouilles : contrôle du quartier artisanal par l’armée, panoplie d’un légionnaire,
auxiliaire ou vétéran, reconverti dans la production de céramiques, voire existence d’un camp
militaire établi sur le plateau, sont autant d’hypothèses envisageables. Rappelons que cette
dernière solution avait déjà été suggérée par P.P. Mathieu sur la base de la topographie des lieux
et des vestiges fouillés au XIXe siècle. À cet égard,
les éléments retrouvés et leur contexte ne sont pas
sans évoquer le cas des vestiges fouillés devant
“l’oppidum” de La Chaussée-Tirancourt, qui a déjà
été l’objet d’une discussion analogue.
Les projectiles, l’armement offensif ou passif
liés aux opérations de siège, en revanche, se
concentrent surtout sur le site voisin de La Roche
Blanche. Pour comparaison, la collection d’objets
métalliques recueillie depuis plus d’un siècle sur
l’oppidum de Corent, bien que très abondante, ne
MILITARIA TARDO-RÉBUBLICAINS EN CONTEXTE GAULOIS
AUTOUR DE GERGOVIE : DÉCOUVERTES ANCIENNES ET RÉCENTES
comporte aucun élément qui puisse s’apparenter
à un trait de catapulte,à un tribulus,à un boulet de
baliste ou à une balle de fronde. Cette concentration n’est pas fortuite : elle apparaît,dans plusieurs
cas, directement liée à l’existence d’ouvrages
défensifs de tradition militaire romaine mis en évidence au pied du massif de Gergovie. Leurs
datations, fondées à la fois sur des critères typologiques et stratigraphiques, s’inscrivent dans une
étroite fourchette comprise entre le milieu du Ier
siècle avant notre ère et le règne d’Auguste.
S’il était encore besoin, ce faisceau d’indices
réunis dans un périmètre de quelques kilomètres
carrés lève toute ambiguïté quant à l’identification du site de la bataille césarienne proposée par
Stoffel et validée par les fouilles de V. Guichard et
Y. Deberge en 2000. Leur répartition est parfaitement cohérente avec les positions décrites dans le
De Bello Gallico : fossés de circonvallation, traces
de campements, projectiles, clous de sandales et
pièces d’armement romains au pied du massif,
autour de la colline de la Roche-Blanche ; rempart
de tradition indigène, armes gauloises, umbo de
bouclier légionnaire, clous de caligae, pointes de
flèches et autres projectiles romains au sommet
du plateau, en surplomb des positions romaines.
Les militaria recueillis sur le site témoignent de
son implication dans une bataille majeure, contemporaine de la conquête césarienne dont le nom a
survécu à travers le toponyme médiéval de Gergoia,
attesté dès le Xe siècle sur le versant sud-est du massif. Leur nombre cumulé place Gergovie en bonne
position, derrière d’autres gisements majeurs de la
guerre des Gaules qui ont bénéficié de fouilles plus
ou moins extensives (Alésia, Uxellodunum).
La perduration des mobiliers militaires dans
des contextes nettement postérieurs à la
conquête romaine, jusqu’à l’abandon du site sous
Auguste, témoigne d'une situation différente Ils
semblent résulter d’une occupation de plus
longue durée, dont la nature reste à préciser.
Quelle que soit son ampleur, cette présence militaire explique sans doute le maintien et l’entretien
d’une fortification sur le versant du plateau ; elle
s’accorde aussi avec le stade de romanisation
particulièrement avancé et précoce des techniques de construction, des faciès mobiliers et du
monnayage liés à cette période. Tous ces indices
s’incarnent dans la figure emblématique
d’Epasnactos, vassal des armées de César représenté comme le maître des lieux, en tenue
d’officier romain, par des centaines de monnaies
frappées in situ. L’hypothèse d’un détachement de
troupes légionnaires et/ou auxiliaires,chargées de
contrôler les populations arvernes après la défaite
d’Alésia, de planifier l’occupation du territoire et
d’asseoir les fondations de sa future capitale, s’accorderait assez bien avec la situation observée
dans d’autres régions fraîchement conquises,
comme la Cité trévire ou l’Île-de-France (Poux,
Robin 2000 ; Metzler 1995). Le choix de le cantonner dans la forteresse gauloise assiégée sans
succès par les troupes de César apparaît parfaitement plausible, tant pour des raisons pratiques
que pour sa portée symbolique. La même situation a été observée pour les oppida du Titelberg
ou de Bâle-Münsterhügel.
Postérieur de plusieurs décennies, le dépôt
d’armement découvert en marge de l’agglomération de Clermont-Ferrand témoigne d’un
changement de statut, lié aux nouvelles structures
induites par la fondation d’Augustonemetum.Si les
armes de la rue Niel ont très vraisemblablement
été utilisées pour la chasse, plusieurs d’entre elles
trahissent une origine militaire (spatha et javelot,
notamment). Leur datation incertaine, qui peut
théoriquement remonter jusqu’à la guerre des
Gaules, n’exclut aucune piste d’interprétation :
souvenirs liés à la bataille et/ou à l’occupation du
site de Gergovie, conservés par un vétéran ou
récupérées par un artisan à des fins de remploi,
créations plus tardives,spécifiquement dévolues à
la pratique de la venatio ? Attestée dans d’autres
régions, la reconversion d’équipements légionnaires à des fins non militaires témoigne, quoi
qu’il en soit, d’un processus plus général : la
période d’occupation armée fait place, dans le
courant du Ier siècle de notre ère,à une intégration
croissante des techniques et des populations militaires au paysage social du Haut-Empire.
v
21
MATTHIEU POUX, MICHEL FEUGÈRE, MATTHIEU DEMIERRE
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